lundi 18 août 2008

La chronique des condamnés, 29 novembre 1968, Oakland (USA) : c'est l'essentiel.

Témoignage d'un individu de sexe masculin rapporté par SB.

Je suis heureux désormais. Les spectres du passé resurgiront quelques fois, ils tenteront de m'apeurer et probablement de m'affaiblir... mais ils échoueront. Oui, ils échoueront. Et il n'en sera jamais autrement. Je n'ai eu aucune pitié, aucune crainte hier, je n'en aurai donc pas non plus à l'avenir. Je n'ai aucun remords, j'ai agi en pensant à moi et en pensant à elle.

Misère ! Quelle vie aurait mené mon amour, Hannah, si je n'avais pas fait ce que je devais faire ? Et quelle vie aurais-je dû subir moi-même ? Une énigmatique vie sans elle ou une mort précoce... non, c'était impossible. Je devais détruire ce dernier obstacle qui m'opposait à elle. Elle m'aime et je l'aime, cela suffit pour une vie. Nous sommes ensembles, et c'est l'essentiel. Rien d'autre ne compte plus pour moi maintenant qu'elle est à moi. Je nous protégerai de tout ce qui peut être nocif à notre amour. Je ne suis pas devin, mais je sais que tant que je serais en vie, Hannah sera mienne.

Avant-hier, tout allait pour le mieux. Hannah et moi vivions dans l'appartement de ses parents, qui étaient en voyage, en compagnie de son grand-père. Ah ! Son grand-père... Un homme d'un âge certain qui a participé à la seconde guerre mondiale. Il a été blessé, lourdement blessé même, durant la contre-offensive allemande dans les Ardennes. Il pleuvait des obus. Il perdit ses deux jambes et devint sourd et muet. Un lourd sacrifice sur l'autel de la barbarie. De plus, son cœur s'affaiblissait de jour en jour. Il y a quelques semaines, il avait été sacrément secoué par une crise cardiaque, à laquelle il survécut miraculeusement. Hélas, il y a une semaine, nous apprenions la mort des parents d'Hannah. Leurs corps avaient été retrouvés, brisés, dans leur voiture au fond d'un ravin en Italie. Hannah fut évidemment bouleversée. Quant à moi, je compris immédiatement l'ampleur du désastre : ses parents morts, il ne restait plus que nous pour le grand-père. Quoi ? Et tous nos projets ? Nous devions partir, quitter le pays pour que je puisse échapper à la conscription... Nous devions donc renoncer à cela et je devais me résoudre à aller dans ce pays lointain pour soi-disant défendre ma patrie bien aimée. Non, c'était impossible... je me fous de ma patrie et il est hors de question que je me batte pour elle. Renoncer à tout à cause du grand-père, oh non je n'aurais jamais pu faire une telle stupidité. J'aime trop Hannah. Non, tant pis, il fallait que l'on poursuive notre route, coûte que coûte. Mais je ne pouvais pas proposer à Hannah d'abandonner son pauvre grand-père ; elle m'aurait sûrement détesté pour toujours et elle aurait eu raison. Je devais donc agir autrement, et je n'eus aucun mal à trouver l'unique solution qui m'apporterait le salut : je devais évidemment tuer Dean, son grand-père. Étrangement, cela ne me faisait pas peur. En fait, j'avais bien plus peur de ce qui m'attendait si je ne le faisais pas. Comment procéder ? Je dus réfléchir plus longtemps pour trouver la meilleure méthode. Il ne devait y avoir aucune trace, aucune marque. Donc, pas d'armes à feu, pas de strangulation, pas de poison... Je compris qu'il fallait que je joue avec ses faiblesses. Le pauvre en avait bien sûr énormément : plus de jambes, sourd et muet... mais surtout, cardiaque. Oui, c'est au cœur qu'il fallait frapper. Son cœur vaincu par la peur, j'étais sauf.

Hannah s'apprêtait à faire des courses, je me précipitai pour sortir avant elle en lui disant que j'allai voir un ami. Quelques minutes plus tard, je revins sur mes pas, entrant de nouveau dans l'appartement. Il fallait le faire. J'ai poussé Dean dans son fauteuil roulant vers la fenêtre de la cour intérieure. J'ai ouvert cette fenêtre, j'ai empoigné Dean qui n'était plus qu'un sac d'os et je l'ai maintenu en l'air en observant son visage horrifié qui regardait vers le sol, 20 mètres plus bas. Soudain, son visage se crispa dans des mouvements saccadés, et ses yeux exorbités finissant par s'éteindre donnèrent à son regard une terrifiante expression ahurie. Je le maintins encore quelques instants avant de le replacer dans son fauteuil roulant. Victoire. Il était mort. Je le ramenai donc dans le salon et je sortis pour voir l'ami que je devais voir, au cas où... Lorsque je suis rentré une heure plus tard, Hannah était revenu et sanglotait contre la dépouille de son aïeul. Elle se jeta dans mes bras lorsqu'elle me vit. Je fis tout pour la consoler, la réconforter. Nous appelâmes la police qui se chargea d'appeler d'autres services, etc... Le corps fut embarqué deux heures plus tard. Peut-être y aura-t-il quelques ambiguïtés... je n'en sais rien, mais quoi qu'il arrive ils concluront à l'arrêt cardiaque. Je ne crains rien.

J'ai réussi, j'ai vaincu. Hannah est à moi. Dès que l'enquête sera achevé, nous partirons. Au Canada probablement ou en Europe éventuellement. Mais je partirai avec elle et elle partira avec moi, on ne se quittera pas, c'est l'essentiel. D'ailleurs à l'heure où j'écris, Hannah dort sur le lit, à moins d'un mètre de moi.

SPLEEN BUCOLIQUE