vendredi 20 mars 2009

Théâtre d'un autre monde, opus I : Le rêve occasionel de George et Lolita.

GEORGE - Bonsoir, obscurité ma vieille amie. Je suis venu discuter encore une fois avec toi.
LOLITA - Bonsoir, ô ténébreux qui m'enivre déjà.
GEORGE - L'autre fois... l'autre fois signifie que l'on s'apprête à parler d'un jour ou d'un moment pendant lequel un évènement notable s'est produit. Sauf dans le cas présent. L'autre fois donc, je sentais en moi une sorte de fluide qui semblait m'indiquer... m'indiquer quoi déjà ?
LOLITA - Tu es un sot, mais tu as de la mémoire. Je vais frapper trois fois dans mes mains et tu vas te souvenir.
GEORGE - Bien chérie.
Lolita s'exécute.
Oh ! Je me souviens à présent. Tes dons sont formidables !
LOLITA - Souviens toi maintenant.
GEORGE - J'ai senti en moi comme un fluide brûlant ou glaçant, je ne sais plus. Plutôt brûlant... Non, j'ai un doute. Ces deux sensations extrêmes se ressemblent tellement ! Brûlant ou glaçant ? Je ne sais pas.
LOLITA – Bah... il faut que tu le saches.
George sort une pièce.
GEORGE - La pièce va décider pour moi. Face, c'était brûlant, pile c'était glaçant.
Il lance la pièce.
C'était donc glaçant. Le hasard fait bien les choses, c'est un excellent meneur d'homme. Le fluide en question était donc glaçant au point que j'en avais presque la chair de poule...
LOLITA - Non ?
GEORGE - Si !
LOLITA - C'est extraordinaire ! Mon intérêt pour ton histoire redouble !
GEORGE - J'en suis tout honoré.
Il ricane bêtement une dizaine de secondes.
Le fluide donc...
LOLITA - Oui, le fluide.
GEORGE - Il était brûlant ! Euh... non, glaçant. Mais tu le sais déjà... Il m'a fait sentir une force, une puissance même à travers les mots que je choisissais pour former mes phrases. C'était formidable ! J'avais l'étrange impression de les voir sortir de ma bouche et percuter chaque recoin de la pièce.
LOLITA - C'était sûrement le ressac d'un chagrin contrit.
GEORGE - C'est exactement ce que je m'apprêtais à dire. Les mots lévitaient donc...
Lolita l'interrompt.
LOLITA - De quelle couleur étaient-ils ?
GEORGE - Mais leur couleur allait du mauve au bleu foncé. Ils frappaient les murs de la pièce et revenaient en son centre pour flotter d'une manière singulière juste au dessus de ma tête. C'était risible. Et soudain... et soudain !
LOLITA - Oui ! Et soudain ?!
GEORGE - Je me suis temporairement senti supérieur à l'Humanité dans son ensemble.
Lolita paraît déçu.
Oui bon, d'accord ce n'est pas aussi extraordinaire que le reste, mais il fallait quand même que je le note. J'étais dans un drôle d'état de lévitation. Je saluais les autres en faisant de grands coucous avec la main. J'étais si haut qu'à force de me regarder, ils avaient mal aux cervicales.
LOLITA – Les pauvres amis.
GEORGE – Non ne les plains pas. Vus de si haut, quelles têtes méprisables ils avaient. Je suis certain qu'ils étaient complètement fous. J'aurais dû appeler le service psychiatrique le plus proche. Mais je suis parfois un peu irresponsable... Bref. Je me demandais d'où venait cette puissance. Puis à force de réfléchir, j'ai fini par en conclure que les dieux me l'avaient envoyée pour un certain temps.
LOLITA – Ils s'étaient sûrement trompés d'adresse.
GEORGE – Non, j'ai vérifié. Je ne voulais pas m'adjuger les affaires personnelles de quelqu'un d'autre.
LOLITA – Quelle était l'adresse indiquée ?
GEORGE – A Goerge.
LOLITA – Goerge ? Ce n'est pas ton nom.
GEORGE – Non, mais j'ai pensé qu'ils avaient fait une faute de frappe et qu'il n'avait pas envie de rectifier. Ca arrive... Cette puissance donc...
Elle lui coupe encore la parole.
LOLITA – Quel goût avait-elle ?
GEORGE – Oh misère ! Salée, elle était plus salée que tout le bassin méditerranéen. Heureusement que je n'ai pas dû la boire. Elle est entrée en moi je ne sais comment. Ce qui était dommage, c'est que je ne pouvais pas la contrôler... A-t-on vu plus stupide situation qu'une toute-puissance incontrôlable ?
LOLITA – Non.
GEORGE – En définitive, je ne savais plus si j'étais un loup, un aigle ou un ours.
LOLITA – Putain... ça devait être tragique !
GEORGE – Mouais... il y avait un peu de cela. Comment savoir quand on ne sait pas ? Cela demande beaucoup d'efforts. J'ai finalement choisi d'être un rat musqué.
LOLITA - Pourquoi musqué ?
GEORGE – Parce-qu'il y avait déjà un surmulot dans la pièce, le rat musqué étant plus gros que le surmulot. J'avais le sentiment soudain que mes capacités intellectuelles étaient décuplées. Je m'avançais sur des terres encore inexplorées. J'avais même un esprit de type conquérant sur mes propres parcelles. Il manquait juste un peu de lumière pour que la sensation soit agréablement parfaite.
LOLITA – C'est malheureux, on passe trop souvent à côté de la perfection à cause d'un petit détail qu'on est souvent incapable d'identifier. Cela me rend triste, mais je n'arrive pas à pleurer.
GEORGE – Eh bien c'est que tu n'es pas encore assez triste.
LOLITA – Si, je suis très triste.
GEORGE – Alors ce sont les larmes qu'il te manque pour être parfaite.
Lolita, vexée, s'en va.
Chérie, attends ! Il reste encore de l'omelette, et puis j'avais fait un cake...

SPLEEN BUCOLIQUE