jeudi 24 septembre 2009

Théâtre d'un autre monde, opus III : l'élève occulte et son maître hypothétique.

CARL - Bonsoir, ténèbres mes vieilles amies. Je suis venu discuter, encore une fois, avec vous.
LA MORT - Tu me sais toujours disposée à t'écouter. Tu sais également que tu peux me rejoindre définitivement quand tu le veux.
CARL - Oui...
LE MAUVAIS ESPRIT - Eh ! Vous me savez loin de ceux qui pensent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, n'est ce pas ?
Il regarde la Mort.
Néanmoins, je crois qu'il n'est pas tout à fait encore temps pour notre ami de nous rejoindre.
CARL - Vous croyez ?
LE MAUVAIS ESPRIT - Certes.
LA MORT - Soit. Mais encore ? Il ne vous connait pas aussi bien que moi.
LE MAUVAIS ESPRIT - J'estime que si tout est perdu pour la plupart de ceux qui vivent ici-bas, nous pouvons encore en sauver quelques-uns par l'intermédiaire de notre ami Carl. Son esprit pénétrant et transcendant a une puissance de persuasion que je n'ai jamais vu chez nul autre que moi.
La mort arbore un sourire goguenard.
Que signifie ce sourire ? Insinues-tu que je mens ?
LA MORT - En aucun cas, ce sourire tendait plutôt vers une certaine satisfaction dilettante.
LE MAUVAIS ESPRIT, méfiant - Soit...
CARL, sec - En ce qui me concerne, s'il vous plait ?
LE MAUVAIS ESPRIT - Oh j'aime cela ! C'était beau, c'était parfait !
CARL, interloqué - Quoi ?
LE MAUVAIS ESPRIT - Cette impatience caractéristique des grandes âmes. Je vois que mon enseignement ne s'est pas montré vain. Tout y était : le ton tranchant, le verbe incandescent et l'exquise politesse. Je suis à n'en pas douter un professeur doué d'une excellence magistrale. Je suis le meilleur.
CARL - Peut-être bien, mais votre démonstration d'orgueil ne m'aidera pas beaucoup pour la tâche dont vous m'avez investi.
LE MAUVAIS ESPRIT, effaré - Comment ?
LA MORT, narquoise - C'est à croire que le "meilleur professeur" a un élève réfractaire à ses idées !
CARL - Les hommes détestent l'orgueil ; je crains donc que ce ne soit pas une arme qui me soit fort utile.
LE MAUVAIS ESPRIT - Seuls les hommes les plus faibles méprisent l'orgueil. Ces âmes damnées ne nous intéressent pas. Non, ils sont mauvais goût et dès lors déjà gâté. Tu ne te concentreras que sur ceux que tu pourras sauver de l'opprobre.
CARL, angoissé - Mais comment puis-je les reconnaître ?
LE MAUVAIS ESPRIT - Si tu en as déjà sauvé inconsciemment, tu dois faire confiance en ton instinct.
Carl s'arrache les cheveux.
CARL - Mais je ne sais même pas si j'en ai sauvé !
LA MORT - Nous te l'affirmons.
CARL, découragé, tremblant - Mais je ne sais pas non plus comment j'ai fait !
LA MORT - Ce devait être un automatisme...
LE MAUVAIS ESPRIT, fixant Carl - Par mon âme ! Le temps s'est soudainement accéléré et je ne l'avais pas prévu. Étrange. Je sens un très bon état d'esprit en toi. Le désespoir, l'accablement, la détresse, l'incertitude, la souffrance... Ce sont les bases suprêmes d'un esprit supérieur. Oui, tu es apte à terrasser tous tes ennemis et à fuir enfin cet univers trop petit pour ton esprit trop vaste. Il te faut condamner à jamais ces plaisirs insignifiants des breuvages et des aliments. Il est temps pour toi de nous rejoindre en traversant le fleuve tragique et dangereux qui nous sépare pour nous rejoindre, avec tes apôtres, sur notre rive où tu jouiras d'une existence éternelle et sans contrainte, sans les parasites des joies et des misères de la terre. Tu ne seras plus un homme, tu seras bien plus. Ton esprit insatiable de puissance et de prépondérance le requiert. Non, il l'exige ! Et maintenant, nage.
CARL, apaisé, les yeux clos - Oui, Maître.
Il s'effondre dans un bruit sourd.
LA MORT, réprimant un éclat de rire - Voilà, c'est fini !
LE MAUVAIS ESPRIT, un rictus sur son visage blafard - Ma chère, se peut-il qu'il se souvienne qu'il est mon créateur ?

GAVROCHE

mercredi 23 septembre 2009

L'hôpital fictif des anges et des démons.

La file d'attente de l'hôpital
S'allongeait sur huit kilomètres.
Mon bras déchiré sur deux mètres
Plombait ce silence vital.

C'est un sang que nous blasphémons.
Tous morts, tous perdus.
Tous morts, tous perdus.
Anges ou démons ?

Seul dans l'allée de l'hôpital,
Je voyais des blessés, brûlés,
Gâteux, presque-morts, mutilés.
J'en avais un dégoût brutal.

Mais mon bras n'avait presque rien.
Les vieux déambulaient, hagards,
Plein de pisse et de gerbe, blafards.
Moi ? J'étais bien, je n'avais rien.

C'est un sang que nous blasphémons.
Tous morts, tous perdus.
Tous mort, tous perdus.
Pour de bonnes raisons.

Gris de mépris, vide d'envie,
J'exécrais leurs corps squelettiques
Et leurs mines cadavériques,
Bientôt délaissées par la vie.

C'est un sang que nous blasphémons.
Tous morts, tous pendus.
Tous morts, tous pendus.
Anges ou démons ?

C'est un sang que nous blasphémons.
Tous morts, tous perdus.
Tous morts, tous perdus.
Anges et démons.
NUWANDA