mardi 30 juin 2009

Théâtre d'un autre monde, opus II : Triangle séraphique dans un bois.

Mara, Oria et Iria, seules dans un bois lugubre.
IRIA - Je ne comprends pas pourquoi tu nous as emmenées ici, Oria. Quel cliché ! C'est ridicule. Trois femmes seules dans un bois en pleine nuit.
ORIA - Je sais que ce n'est pas original. Mais est-ce bien grave ?
IRIA - C'est très grave.
ORIA - Très grave ?
IRIA - Excessivement grave. Nous ne sommes pas tout à fait humaines, nous ne pouvons donc pas nous comporter en tant que telles. Nous devons être d'un niveau bien supérieur, ne pas nous frotter à cette espèce sous développée. Nous risquerions d'en prendre les tares.
ORIA - Tu es profondément injuste. Les pauvres ! Ils font ce qu'ils peuvent.
IRIA - Ce qu'ils peuvent pour être stupide.
Oria fait la moue et lève les yeux au ciel.
ORIA - Je serais heureuse de savoir ce que notre chère sœur pense de tout cela.
MARA - Moi ?
IRIA - Oui, toi.
MARA - Je crois que nous ne devons pas nous immiscer dans leur vie. Nous devons nous contenter de les observer.
IRIA - C'est à peu près ce que je pense.
ORIA - Non, pas tout à fait : tu refuses systématiquement de les observer.
IRIA - Ce n'est tout de même pas ma faute s'ils sont inintéressants et grotesques ! Je ne les aime pas.
ORIA - Souviens toi de cette homme promenant son fils dans un parc, jouant avec lui, lui apprenant la vie en quelque sorte... N'était-ce pas divin ?
IRIA - Quoi ? Tu voudrais que cela me touche, que cela m'affecte ? Mais cela me répugne. C'est le standard de la plus plate des platitudes, une ambition bassement terrestre qui insulte la Nature, unique créatrice de toutes les créatures, et qui esquive peut-être délibérément le potentiel qu'elle possède. L'Homme que nous observons se limite à la raison et la science, croyant qu'elles sont les bornes de son savoir, et saupoudre le tout de quelques religions contre-nature qui d'un trait de plume rayent l'existence de ses ancêtres les plus anciens. Il oublie qu'il a un esprit. Pour tout cela, je le méprise.
ORIA - Ce que tu dis est sévère mais juste... Nous pourrions cependant lui indiquer le bon chemin.
IRIA - Jamais !
MARA - Iria a raison. Il doit le découvrir seul.
ORIA - Et s'il n'y parvient pas ?
IRIA - Alors, comme je le pense, cela signifiera qu'il n'en n'est pas digne.
MARA - L'évolution, à travers le temps, fera les choses correctement.
Oria tape du pieds.
ORIA - C'est trop bête : nous pourrions, dès à présent, lui donner plus de puissance.
MARA - En a-t-il vraiment besoin ?
IRIA - Incontestablement. L'Homme est une faible créature.
ORIA - Je suis heureuse de constater que nous sommes au moins d'accord sur ce point.
IRIA - Mais moi vivante...
Ses deux sœurs sourient.
IRIA - C'est une façon de parler... Je ne vous laisserai jamais l'aider. Pas tant que son comportement sera aussi haïssable.
MARA - Nous devons de toute façon prendre cette décision en commun.
ORIA - Iria, pense que c'est peut-être parce que nous ne lui éclairons pas le chemin que l'Homme a un aussi piètre comportement.
IRIA - Comment expliques-tu qu'une faible minorité ait malgré tout un comportement à peu près acceptable ? N'est-ce pas la preuve que l'Homme dans son ensemble est une créature mineure à laquelle nul ne devrait s'intéresser ? Il est plus intéressant d'observer une fourmilière. Les fourmis, elles, sont courageuses.
ORIA - C'est minimaliste. L'Homme peut aussi être courageaux, non ? Lorsqu'il entreprend des voyages spatiaux, il prend des risques énormes.
Iria éclate de rire.
IRIA - Quelques dizaines sur plus de six milliards ! Quel exploit !
MARA - D'une manière générale, l'Homme est en effet plutôt lâche.
ORIA - Il l'était moins avant de se constituer en société.
IRIA - Exactement ! Voilà notre second point d'accord. Lorsque les ancêtres de l'Homme ont parcouru de gigantesques distances en laissant nombre d'entre eux derrière eux, ils avaient du courage. Ils étaient solidaires. Je m'en souviens encore. La société a désormais fait de l'Homme une bête vil, stupide, cruelle, égoïste, cupide et lâche. Ce qui aurait dû être la plus belle créature de la Nature est devenu un monstre. Assemblé en masse, c'est du bétail incontrôlable.
ORIA - Attendons encore un moment...
Iria l'interrompt.
IRIA - Non, c'en est assez. Nous n'avons plus rien à faire ici. Nous reviendrons un jour, si un jour ils sont enfin sur le bon chemin.
Oria essuie une larme.
ORIA - C'est trop triste. Ces enfants encore innocents que l'on pourrait sauver...
IRIA - Deviendront des bêtes féroces comme leurs parents d'ici peu. Partons maintenant.
MARA - Soit, partons.
ORIA - J'y consens mais cela me déplait !
Iria prend sa sœur par la taille et l'entraîne doucement.
IRIA - Ma pauvre chérie au si grand cœur... Un jour tu finiras par m'émouvoir.
MARA - Ce qui me manquera, ce sont ces bois, la nuit, que l'on fréquente en discutant.
Elles disparaissent, se tenant par la main, dans un ordre certain.

GAVROCHE