vendredi 5 décembre 2008

La chronique des condamnés, 15 juin 1965, Boston (U.S.A) : Je m'appelle C.J.

Témoignage d'un individu de sexe masculin.

À cette époque là, je me sentais déjà lâche. J'avais déserté mon clan et fui celui qui m'aurait tué si j'avais été découvert. Aujourd'hui, je le suis encore plus. Les horreurs du passé remontent, me submergent, m'inondent, mais je les ignore. Ou plutôt je feins de les ignorer. En tout les cas, je ne les admets pas, je les repousse pour mieux les oublier. Il n'est pas bon pour un esprit de papier de se rappeler les souvenirs de braise. Ma vie actuelle est confortable, tout comme elle l'était il y a une vingtaine d'années. En réalité, lorsque je compare mes deux situations, je m'aperçois qu'elles ne sont pas si différentes que l'on pourrait se l'imaginer. Certes, il y a bien un avant et un après dans ma vie, mais j'ai toujours plus ou moins bien vécu.

Il est 9h38 du matin à Boston. Je m'appelle Christian Jacobsohn, j'aurai bientôt cinquante-et-un ans, je vis aux États-Unis depuis vingt ans et j'ai acquis cette nationalité cinq ans après mon arrivée. D'origine allemande, j'ai très vite appris l'anglais, j'ai épousé une femme merveilleuse avec qui j'ai eu trois enfants dont l'aîné a quatorze ans et la cadette neuf ans. Je n'avais aucune formation lorsque je suis arrivé, mais une grande entreprise, par l'intermédiaire d'un ami, a choisi de me faire confiance. Je suis maintenant directeur des ressources humaines du site de l'entreprise à Boston. Je ramène à ma famille un salaire incontestablement imposant, ce qui nous permet d'habiter un luxueux appartement et d'avoir un train de vie assez exceptionnel. Je pense vraiment que je n'ai pas à me plaindre, ma vie est un beau rêve. En fait, je ne demande rien d'autre, si ce n'est que cela se poursuive pendant encore longtemps, que cela se poursuive même toujours.

Non, je ne pourrais jamais supporté d'être séparé de tout ce que j'ai réussi à acquérir tout au long de ces deux dernières décennies. C'est à moi ! C'est le fruit de mes efforts, le fruit de mon travail. J'ai souvent dû lutté pour me hisser au poste auquel je suis aujourd'hui. Les erreurs de mon passé qui, le temps passant, sont pour moi devenu des horreurs, devraient donc briser la vie dont j'avais rêvé et qui est devenue réalité ? Non, jamais. C'est impossible. Que ces horreurs ressurgissent, soit... mais après ma mort.

Le 8 mai 1945, à 23h01, l'acte de capitulation sans condition de l'Allemagne que le Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel et le Maréchal Georgi Joukov signèrent entra en vigueur. Plus de combats, la guerre était finie en Europe. Pour moi elle l'était déjà depuis la mi-avril.

Je m'appelais Chlodwig Jauche, je servais le Reich dans la 3e Panzerdivision SS Totenkopf avec le grade de SS-Obersturmführer au camp de Mauthausen. On savait depuis longtemps que la guerre était perdue. Mais désormais, les forces américaines s'enfonçaient de plus en plus dans notre chère Allemagne. La plupart d'entre nous n'avait pas peur de mourir pour la patrie. Je n'étais pas de cela. Je ne voulais pas mourir. J'aimais mon pays, mais un sentiment plus fort et peut-être un peu égoïste me faisait préférer ma propre vie.

Après avoir mûrement réfléchi, je décidai un soir de mettre en application mon plan. Il fallait à tout prix que je m'éloigne de Mauthausen et même de l'Allemagne. Le 17 avril 1945, je m'emparai d'un prisonnier après avoir consulté le registre ; un certain Christian Jacobsohn, allemand de naissance et juif. Il était né la même année que moi, était d'une taille, d'une corpulence et d'une apparence à peu près semblable aux miennes. Il était arrivé quelques jours avant avec un convoi. Je prétextai qu'il devait impérativement être transféré à Gusen I, une annexe de Mauthausen. Les gardes du camp ne posèrent aucune question. J'étais après tout leur supérieur hiérarchique...

Nous sommes sortis du camp, nous avons roulé pendant un certain temps, assez pour être proche des lignes américaines. Je me suis arrêté et j'ai dû à ce moment rassembler tout mon courage. Je lui ai ordonné de se déshabiller et de me donner ses haillons. Je me suis à mon tour dévêtu et nous avons échangé nos vêtements. Rassemblant toujours plus mon courage, j'ai sorti mon Lüger et lui ai logé une balle dans la tête. Je m'enfuis sans réfléchir. Il ne fallait surtout plus réfléchir, l'esprit avait fait sa besogne, le corps devait maintenant faire la sienne. J'ai couru sans m'arrêter vers les forces Alliés, et les ayant atteint, je leur ai dis que j'avais réussi à m'évader du camp de concentration de Mauthausen et que j'avais erré pendant une semaine avant de les trouver. On m'a tout de suite pris en charge. La guerre finie, je m'appelais Christian Jacobsohn, un homme de trente ans qui n'avait plus de famille car Chlodwig Jauche et les siens l'avaient exterminée.

Aujourd'hui, j'étais en déplacement toute la journée. Pour rentrer à Boston le soir, j'ai pris l'autoroute et j'ai vu une affiche publicitaire qui montrait deux jeunes enfants et leur mère. Les enfant avaient dévoré une crème dessert et leur mère les grondait. Le slogan disait : « Pardonnez leur, c'était trop tentant ! » Durant quelques secondes, je me surpris à rougir.

SPLEEN BUCOLIQUE

vendredi 7 novembre 2008

La chronique des condamnés, 13 août 1966, San Francisco (U.S.A) : mes frères et sœurs.

Témoignage d'un individu de sexe masculin.

La journée a été franchement rude. Je dis la journée en parlant de la nuit, car nous sommes aux antipodes des manières de vivre communes à la plupart des hommes et des femmes. Nous vivons la nuit et nous sommeillons le jour. Non, ce n'est pas vraiment original : beaucoup sont dans le même cas que nous, à la différence près que nous, nous le faisons volontairement. « Pour voir ce que ça fait », comme dit Paul. Bah... finalement, ça ne fait presque plus rien de spécial au bout d'une semaine : le rythme est pris, notre organisme finit par s'habituer. Tout cela n'a finalement aucune importance à nos yeux, le jour, la nuit, on s'en fout. Ce qui compte pour nous, c'est de vivre et vivre ensemble c'est encore mieux.

Combien sommes-nous au juste dans cette baraque abandonnée ? Je n'en sais rien, peut-être une vingtaine, peut-être un peu plus. On ne se connaissait pas tous, il y a encore deux semaines... maintenant, on croirait voir une grande famille, une vingtaine de cousins et cousines se rassemblant pour une grande fête. En fait, je ne crois même pas qu'il y ait des frères et sœurs ici, en tout cas pas pour la loi.

Tous les soirs, nous mangeons tous ensembles dans le grand salon. Personne ne manque jamais ce repas qui, à défaut d'être un vrai dîner, correspond plus à un mixte entre petit-déjeuner et déjeuner. C'est plutôt bruyant, j'ai souvent peine à entendre et à me concentrer sur ce que me dit mon voisin ou ma voisine tant les rires frénétiques et les visages hilares sont contagieux. Et cela empire largement quand vient le dessert... Mais cela non plus n'est pas vraiment important, l'essentiel est que nous soyons tous ensembles. Que nous rions ne fait qu'ajouter au plaisir. Nous trouvons toujours le temps de nous parler dans la nuit.

Le jour, il faut toujours au moins deux ou trois personnes pour aller récolter les fruits de notre jardin et dérober les œufs des poules. C'est indispensables, puisque nous ne nous nourrissons que grâce à cela. Mais cela revient, pour les personnes en question, à se lever en pleine période de sommeil. Soucieux d'instaurer une égalité parfaite au sein de notre petite communauté, nous le faisons à tour de rôle sans jamais nous engueuler. Au début, je n'aurais jamais cru de telles choses possibles. Nous n'avons ni chef ni dominant, et là non plus je n'y croyais pas. Mais c'est ainsi, chacun fait ce qu'il veut, quand il veut avec en plus le désir de faire bien pour tous les autres. Aucune action n'est jamais vaine.

L'amour est roi dans notre chère communauté. En dehors, il faut croire que c'est un peu différent. Lorsque j'ai vu mes parents la semaine dernière, ils m'ont remis un verdict sans appel : je ne suis qu'un sale petit idéaliste crasseux et puant. Ils m'ont renié et ne veulent plus jamais m'apercevoir, et ce quand bien même je rentrerai dans le « droit chemin ». J'ai donc perdu mes parents. Cela m'attriste évidemment, mais je me console en me disant que j'ai trouvé une grande famille inséparable. L'amour est roi, nous avons laissé de côté la jalousie, l'individualisme, la colère et tous ces autres caractères qui meurtrissent les autres gens. J'ai fait l'amour avec trois femmes aujourd'hui. Personne ne me la reprocher. Les trois femmes ne se sont pas senties trompées, bien au contraire puisqu'elles-même en ont fait autant, les autres hommes n'ont pas changé d'attitude envers moi bien qu'Annie fut mariée (certes pendant peu de temps) à James. Et tout cela serait malheureusement impossible en dehors de cette fameuse baraque que nous habitons tous et que nous ne quittons presque jamais. On m'aurait chassé, vilipendé... peut-être même que l'on m'aurait tué ! Non, la vie que je mène ici est mille fois plus agréable que ma vie antérieure. Je ne regrette rien.

Il y a une demi-heure, alors que tout le monde était dans le jardin, profitant des derniers rayons de soleil, je suis rentré chercher des boissons et j'ai bien malgré moi entendu des chuchotements dans la cuisine.

- C'est une catastrophe. Qu'allons-nous faire d'elle ?

- Je ne sais pas, il faut l'emmener chez un médecin...
- Mais Annie est...
- Oui, je sais, mais nous le paierons afin qu'il dissimule la vrai cause. Personne ne doit la voir dans cet état, sinon ils comprendront tous. Ils sont tous au jardin, il n'y a pas de temps à perdre.

Quelques instants plus tard, la voiture a démarré. Je rentre dans la cuisine : pas de signe d'Annie. Une angoisse me noue soudainement l'estomac. Je crois que je commence à comprendre, puis j'hésite. Que faut-il comprendre ? Je chancelle et me rattrape de justesse. J'ai le sentiment d'avoir perdu l'amour d'une sœur, et d'avoir perdu deux frères.

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samedi 11 octobre 2008

La chronique des condamnés, 25 juin 1977, New-York City (U.S.A) : le fruit du plaisir.

Témoignage d'un individu de sexe féminin.

Mon cher et tendre Alan,

Tu ne me répond toujours pas et pourtant je t'écris encore, cette lettre de plus le prouvant. Je me doute bien qu'à l'heure actuelle, après tout ce temps, tu ne penses plus du tout à moi. Peut-être même que ta mémoire est incapable de grossièrement reconstituer les traits de mon visage. Je m'y résigne, sans haine ou mépris. Je m'intéresse au passé avec, certes, un peu d'amertume, mais aussi beaucoup de plaisir... Moi, je pense encore à toi... à chaque instant qui passe, et je n'ai pas vraiment honte de te l'avouer dans cette énième lettre à laquelle tu ne répondras probablement pas. En fait, j'essaye de me soigner en t'écrivant toutes ses lettres bien que je sois sûrement condamnée à la folie. Se débarrasser de la nausée en écrivant, c'est ce que je tente de faire... avec plus ou moins de succès depuis deux longues années qui me semble deux siècles. Mes phrases sont mièvres et je te parais complètement stupide, n'est-ce pas ? C'est certainement pour cela que tu ne me répond jamais.

Non, plus de mots vides de sens : je ne peux décidément pas oublier ce mois fantasque que nous avons tous deux vécus. J'aurais évidemment aimé que ce mois soit une année, voire même une décennie.Mais ce que nous avons vécu a été lourdement blâmé, à tort ou à raison, selon les consciences. Moi-même, je ne sais comment réagir. Je suis tantôt hostile et tantôt amoureuse de ce passé. En tout cas, je ne cesse jamais d'y penser.

En effet, je pense toujours à cette jeunesse pas si lointaine où nous avons eu nos fameuses aventures sexuelles prémaritales. Je n'avais que dix-sept ans et je passais la quasi-totalité de mon temps libre dans ton grand appartement où nous copulions plusieurs longues fois par jour. Dans ta chambre, dans la salle de bain, dans la cuisine, et quelques fois même sur ton balcon, à la nuit tombée, où nous savions, sans jamais ne nous l'être avoué, que de jeunes adolescents jetaient des regards indiscrets et dévoraient des yeux le petit ballet que nous leur offrions. Ai-je dormi plus de quatre heures par nuit durant ce fameux mois ? Non, je ne le crois pas. Que de souvenirs, oui, je me souviens de tout, de ton corps, qu'il m'arrive de peindre de temps à autre, des paroles affriolantes que tu me lançais quand nous le faisions. C'était agréable, mais je n'aimais tant tes sarcasmes que la jouissances de tes orgasmes. Je tendais ma croupe, je voulais tout te donner, tout te prendre. Je me souviens de ces moments. Mes lèvres se gonflaient sous les furieux assauts du contentement croissant que tu m'offrais. Comment pourrais-je oublier tes caresses et tes baisers brûlant ? Que ces mots que tu seras le seul à lire ne te choque pas, ils sont l'interprétation de l'amour que j'ai eu pour toi. Nous contentions nos myriades de caprices nocturnes. Nous pratiquions la sodomie de temps en temps - je me souviens de ces coups de butoirs que tu m'infligeais pour mon plus grand plaisir - et l'onanisme un peu plus souvent... mais probablement pas assez.

Hélas, tant passionnés que nous étions, nous avons été trop gourmand, trop sybarite, trop avide des bonnes choses. Je finissais par ne plus aller en cours, trop désireuse de toi, en permanence. Et, fatalement, l'administration du lycée ne se priva d'en avertir mes parents qui usèrent de tous leurs moyens pour comprendre ce que je faisais. Ils n'eurent heureusement jamais vent de notre aventure, mais ils ont en tout cas si bien compris que le problème était à San Francisco que nous avons quitté la côte ouest pour vivre à New-York. Mes parents ont les moyens pour toutes ces choses là... Ainsi cette sorte de rêve a pris fin, du jour au lendemain. Je ne sais d'ailleurs toujours pas si tu as déménagé. Peu importe, je n'ai de toute façon qu'une adresse pour t'écrire.

Au mois prochain.

P.S : Sean se porte bien, il aura bientôt deux ans.

Ellen.

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mercredi 17 septembre 2008

La chronique des condamnés, 19 mai 1980, Moskva (CCCP) : isolation et décadence.

Témoignage d'un individu de sexe masculin.

Rien pour moi, tout pour tous. Anisim, c'est ainsi que l'on m'appelle. J’ai presque 17 ans, je suis né un mois avant l’assassinat du président des État-Unis et je donne déjà toutes mes forces pour que notre glorieux pays conserve son immense gloire. Je me sacrifie beaucoup, ma vie privée est parfois morne mais c’est normal. Dans notre Mère-Patrie, tout est public. Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres pays, et après tout je m’en fous. Je vis dans mon pays, le plus beau du monde, celui dans lequel le partage est infaillible. On vit chacun pour tous et nous sommes tous heureux. Je ne crois jamais avoir vu d’enfants, de pères, de mères ou de vieillards se plaindre. C’est normal, nous n’avons aucune raison de nous plaindre. Nos dirigeants s’occupent de nous, gèrent nos vies et le font très bien. Il n’y a pas de problème en URSS.

Heureusement qu’il n’y a que peu de personnes pour penser à moi ‒ je n’ai plus de famille, mes parents sont morts et j’ai longtemps vécu dans un orphelinat de Moscou. Aujourd’hui je vis dans une tente sur les bords de la Moskova dans les saisons chaudes et je descends vers le Caucase l’hiver. Parfois, je me laisse aller. Je passe un peu à côté de la plaque. Je ne sais pas ce qu’il me prend, mais j’aime ça. Peut-être même que je prends quelques risques. Non, « parfois » n’est pas le mot juste. Quotidiennement convient mieux à ma situation. Si je n’étais pas seul à partager le terrible secret de mon abominable personne, je pense que je ferais honte à beaucoup de mes camarades. Plus personne n’aurait pour moi le respect que nous nous attribuons tous mutuellement et ce serait bien mérité. On penserait que je ne serais pas digne de vivre dans un pays comme le nôtre, qui propose tant d’attributs vertueux pour le bonheur de tous les camarades qui le peuplent ; et on aurait raison ! Moi-même, je me fais honte. Je suis décadent.

Je ne vais plus à l’école depuis que j’ai appris qu’un élève coûtait très cher à l’État. Je sais suffisamment de choses, et puis il faut bien que chacun y mette du sien pour que notre gloire soit éternelle.
Chaque jour, je fais la panégyrie du déclin de l’esprit humain ; ou en tout cas du mien. C’est odieux. Un rythme de vie infernal, c’est ce que je vis... mais personne ne le sait. Je dors peu et toujours très mal, à même le sol, mais ce n’est pas grave. Je mange beaucoup, beaucoup de sucrerie, parfois même je mange du sucre à l'état brut ; il y a même des jours où je ne mange que ça. Je bois beaucoup aussi, mais très peu d’eau. Je ne me lave pas, la Moskova est froide et un peu sale, pas autant que l’Argoun, mais presque. Je vis dans la crasse. Pourtant je pense que je suis heureux. Enfin je crois… oui c’est sûr. Quoi qu’il arrive on est tous heureux. Je suis juste un peu gêné, confus, honteux quand je pense à la vie que je mène. Je trahis la quasi-totalité des principes et des vertus préconisées par notre Patrie. Mais dans peu de temps, je vais faire repentance.

Je suis un peu isolé, mais c’est entièrement de ma faute. Il faudra bien que je change bientôt car de toute façon, dès que j’en aurai l’âge je m’engagerai dans l’armée pour servir notre Patrie qui s’est elle même engagée, il y a quelques mois, à maintenir la paix en Afghanistan. En attendant je garde pour moi cette infâme cachotterie.

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lundi 18 août 2008

La chronique des condamnés, 29 novembre 1968, Oakland (USA) : c'est l'essentiel.

Témoignage d'un individu de sexe masculin rapporté par SB.

Je suis heureux désormais. Les spectres du passé resurgiront quelques fois, ils tenteront de m'apeurer et probablement de m'affaiblir... mais ils échoueront. Oui, ils échoueront. Et il n'en sera jamais autrement. Je n'ai eu aucune pitié, aucune crainte hier, je n'en aurai donc pas non plus à l'avenir. Je n'ai aucun remords, j'ai agi en pensant à moi et en pensant à elle.

Misère ! Quelle vie aurait mené mon amour, Hannah, si je n'avais pas fait ce que je devais faire ? Et quelle vie aurais-je dû subir moi-même ? Une énigmatique vie sans elle ou une mort précoce... non, c'était impossible. Je devais détruire ce dernier obstacle qui m'opposait à elle. Elle m'aime et je l'aime, cela suffit pour une vie. Nous sommes ensembles, et c'est l'essentiel. Rien d'autre ne compte plus pour moi maintenant qu'elle est à moi. Je nous protégerai de tout ce qui peut être nocif à notre amour. Je ne suis pas devin, mais je sais que tant que je serais en vie, Hannah sera mienne.

Avant-hier, tout allait pour le mieux. Hannah et moi vivions dans l'appartement de ses parents, qui étaient en voyage, en compagnie de son grand-père. Ah ! Son grand-père... Un homme d'un âge certain qui a participé à la seconde guerre mondiale. Il a été blessé, lourdement blessé même, durant la contre-offensive allemande dans les Ardennes. Il pleuvait des obus. Il perdit ses deux jambes et devint sourd et muet. Un lourd sacrifice sur l'autel de la barbarie. De plus, son cœur s'affaiblissait de jour en jour. Il y a quelques semaines, il avait été sacrément secoué par une crise cardiaque, à laquelle il survécut miraculeusement. Hélas, il y a une semaine, nous apprenions la mort des parents d'Hannah. Leurs corps avaient été retrouvés, brisés, dans leur voiture au fond d'un ravin en Italie. Hannah fut évidemment bouleversée. Quant à moi, je compris immédiatement l'ampleur du désastre : ses parents morts, il ne restait plus que nous pour le grand-père. Quoi ? Et tous nos projets ? Nous devions partir, quitter le pays pour que je puisse échapper à la conscription... Nous devions donc renoncer à cela et je devais me résoudre à aller dans ce pays lointain pour soi-disant défendre ma patrie bien aimée. Non, c'était impossible... je me fous de ma patrie et il est hors de question que je me batte pour elle. Renoncer à tout à cause du grand-père, oh non je n'aurais jamais pu faire une telle stupidité. J'aime trop Hannah. Non, tant pis, il fallait que l'on poursuive notre route, coûte que coûte. Mais je ne pouvais pas proposer à Hannah d'abandonner son pauvre grand-père ; elle m'aurait sûrement détesté pour toujours et elle aurait eu raison. Je devais donc agir autrement, et je n'eus aucun mal à trouver l'unique solution qui m'apporterait le salut : je devais évidemment tuer Dean, son grand-père. Étrangement, cela ne me faisait pas peur. En fait, j'avais bien plus peur de ce qui m'attendait si je ne le faisais pas. Comment procéder ? Je dus réfléchir plus longtemps pour trouver la meilleure méthode. Il ne devait y avoir aucune trace, aucune marque. Donc, pas d'armes à feu, pas de strangulation, pas de poison... Je compris qu'il fallait que je joue avec ses faiblesses. Le pauvre en avait bien sûr énormément : plus de jambes, sourd et muet... mais surtout, cardiaque. Oui, c'est au cœur qu'il fallait frapper. Son cœur vaincu par la peur, j'étais sauf.

Hannah s'apprêtait à faire des courses, je me précipitai pour sortir avant elle en lui disant que j'allai voir un ami. Quelques minutes plus tard, je revins sur mes pas, entrant de nouveau dans l'appartement. Il fallait le faire. J'ai poussé Dean dans son fauteuil roulant vers la fenêtre de la cour intérieure. J'ai ouvert cette fenêtre, j'ai empoigné Dean qui n'était plus qu'un sac d'os et je l'ai maintenu en l'air en observant son visage horrifié qui regardait vers le sol, 20 mètres plus bas. Soudain, son visage se crispa dans des mouvements saccadés, et ses yeux exorbités finissant par s'éteindre donnèrent à son regard une terrifiante expression ahurie. Je le maintins encore quelques instants avant de le replacer dans son fauteuil roulant. Victoire. Il était mort. Je le ramenai donc dans le salon et je sortis pour voir l'ami que je devais voir, au cas où... Lorsque je suis rentré une heure plus tard, Hannah était revenu et sanglotait contre la dépouille de son aïeul. Elle se jeta dans mes bras lorsqu'elle me vit. Je fis tout pour la consoler, la réconforter. Nous appelâmes la police qui se chargea d'appeler d'autres services, etc... Le corps fut embarqué deux heures plus tard. Peut-être y aura-t-il quelques ambiguïtés... je n'en sais rien, mais quoi qu'il arrive ils concluront à l'arrêt cardiaque. Je ne crains rien.

J'ai réussi, j'ai vaincu. Hannah est à moi. Dès que l'enquête sera achevé, nous partirons. Au Canada probablement ou en Europe éventuellement. Mais je partirai avec elle et elle partira avec moi, on ne se quittera pas, c'est l'essentiel. D'ailleurs à l'heure où j'écris, Hannah dort sur le lit, à moins d'un mètre de moi.

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dimanche 13 juillet 2008

La chronique des condamnés, 25 mars 1973, London (G-B) : j'irai à New-York

Témoignage d'un individu de sexe masculin rapporté par SB.

Cela fait plusieurs années que je mène cette vie pleine de panache et si originale. Ah ! Oui, je l'ai choisie. Et je ne regrette quasiment rien. En fait, comment pourrais-je avoir le moindre regret ? Je pense que ce chemin que j'ai emprunté m'a guidé vers un état incroyable que je n'aurais jamais pu connaître d'une autre manière. Non, décidément je n'ai aucun regret.

Mais... il est temps que cela s'arrête. Mon corps le réclame. Bien que d'apparence choyé, je le ruine intérieurement. Tout au contraire, je nourris mon esprit intérieurement, et c'est ce qui lui donne une apparence si misérable. Misérable, et pourtant admirée par nombre de personnes. Il y a sûrement une corrélation, mais c'est tout de même à n'y rien comprendre. Bah... qu'importe, de toute façon, cela fait longtemps que j'en ai plus les moyens. Il faut que cela s'arrête car je ne suis plus cela. Parfois, je doute même l'avoir été. Ma nature n'est pas dans cette vie que je mène et qui me ruine, en tous les sens du terme. Je voulais juste pouvoir aller à New-York, une seule fois dans ma vie. J'aurais tout fait pour réussir. Et j'ai tout fait, mais cela ne paye pas... pas assez en tout cas.

Il y cinq ans, je me rasais les jambes et je m'épilais les sourcils pour la première fois de ma vie. J'essayais le mascara de ma sœur, pour la première fois aussi... Et j'ai volé toutes les économies de mes parents et je suis partis, pour la première fois également... et pour toujours. Je ne les ai jamais revus, je ne sais pas ce qu'ils deviennent et j'ai rarement assez de temps pour en pleurer ou même pour y penser. Je voulais juste rêver un peu, je n'avais rien contre eux. Ma vie auprès d'eux était paisible. Je voulais provoquer, rien de plus. Mais je n'ai jamais eu le courage de revenir.

Je suis un travelo qui rêve juste d'aller à New-York et qui se fout du reste. Ni homme, ni femme, juste une pauvre créature qui déambule avec des semelles compensées, des vêtements "féminins" que les femmes elles même ne portent plus, et une tonne de maquillage. Je suis grotesque et j'ai de plus en plus de mal à l'assumer. J'ai commencé pour aller à New-York, et je continue pour manger à ma faim. Il y a comme un problème.

Cette vie n'est pas regrettable , mais elle est tellement impitoyable que je n'ai pas su continuer tout seul. Personne ne peut vivre ce genre de vie sans avoir l'appui de la "science". Je suis défoncé la plupart de la journée. Les amphés pour me stimuler, l'alcool pour oublier, l'héroïne pour avoir un minimum de plaisir. Le fric ne s'arrête pas dans mes mains, il ne fait que passer. Le peu qu'il me reste est balancé dans l'épicerie quand j'ai encore la force de m'y traîner. J'ai mal et j'ai très peur. De temps en temps, je me sens partir, tout doucement. Puis je reviens, tout en souffrance, pour repartir et revenir. C'est atroce. Un jour, soit je ne repartirai pas, soit je ne reviendrai pas. J'ai mal, et j'ai peur.

Mais... comment arrêter quand toutes vos connaissances vous supplient de poursuivre une telle existence et que cette existence vous permet de vivre tant bien que mal ? J'en ai assez de porter tout ce maquillage, toute la journée, de ces pauvre jupes et robes riducules et de ce cuir noir insupportable. Il faudrait que je laisse tout cela tomber, parce que cela ne me ressemble plus. Mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas.
— Putain, tu déconnes ? Tu ne peux pas me faire ça, me disait Jack, mon patron (et mon mac), hier soir encore.
— Je n'en peux plus, je suis usé, je veux en finir...
— Allons, réfléchis un peu. Qu'est-ce que tu ferais ? Hein ? Tu ne sais rien faire d'autre. Et puis, ce n'est pas en arrêtant que tu pourras aller à New-York, dit-il avec un rictus. Tu es notre meilleur produit, nos clients te préfèrent toi ! Tu ne peux pas arrêter, je te l'interdis, me répéta-t-il sur un ton cette fois menaçant.
Je sais de quoi il est capable. Ce genre de type n'hésiterait pas à buter un pauvre travelo comme moi. Qui s'en soucierait, de tout façon ? Je crois qu'il n'y aurait personne pour constater ma disparition...

Et même, j'ai honte de l'avouer, mais je suis accroc. On ne se sépare pas d'elles aussi facilement. Je n'irai peut-être jamais à New-York... mais peut-être qu'elles pourront me donner l'illusion d'y être, juste avant de mourir.

SPLEEN BUCOLIQUE

dimanche 6 juillet 2008

La chronique des condamnés, 20 novembre 1957, L.A (USA) : une acolyte de Sappho.

Récit d'une personne de sexe féminin - plus tout à fait une enfant, mais encore à peine une femme - rapporté par Spleen Bucolique.

Les ténèbres sont proches, j'entends leurs cris féroces qui cristallisent l'atmosphère lourde et pénétrante régnant dans ma sombre demeure aux allures de manoirs transylvaniens. Les ténèbres sont les filles des chiens en furie qui me pourchassent. Mon père hurle, me frappe et projette de m'exclure de sa maison et de son héritage. Ma mère me conjure d'avouer que je ne suis qu'une "sale petite menteuse", effrontée et toujours pressée de narrer toute sorte d'idioties pour me rendre intéressante. Mon grand-père me regarde avec dégoût, et me lance : "après tout ce que tes parents et nous avons fait pour toi, c'est ainsi que tu nous remercies". Ma grand-mère est encore la plus douce lorsqu'elle me susurre que si je ne rentre pas dans le droit chemin, j'aurais droit à des séances d'électrochoc comme cela devient courant par les temps qui courent.

Mais pourquoi tout ce vacarme ? Pourquoi toute cette folie ? J'ai peine à croire que cela est pu débuter lors d'un repas, qui s'annonçait tout ce qu'il y a de plus banal. Ma mère me questionnait de la manière la plus gentille (père comme mère ont plus ou moins toujours été corrects, sinon méconnaissant à mon égard) qu'il puisse être sur ma journée au lycée. Je lui répondis, sur le même ton, que ce fut une journée ordinaire... puis j'ai embrayé, timidement, sur mes relations sentimentales. Il fallait que je leur en parle. Je sentais que je ne pouvais pas faire autrement.
— J'aime quelqu'un, et c'est réciproque, leur dis-je. Et c'est un amour irrévocable, vous ne pourrez rien contre, enchaînais-je rapidement pour ne pas être interrompue.
— Mais voyons, ma chérie, pourquoi voudrais-tu que nous ne soyons pas favorables à liaison ? dis ma mère, surprise. Au contraire, ton père et moi en sommes enchantés ! N'est-ce pas, Lance ?
— Ouais.
Mon père s'exprimait rarement, et lorsqu'il le faisait, ce n'était que sur invitation de ma mère et il répondait toujours le plus rapidement possible.
— Mais... non, vraiment, je suis sûre et certaine que cette liaison ne pourra pas vous plaire.
— Cesse de débiter des stupidités, tu es déjà sortie avec des garçons et nous ne t'avons rien dit, de désagréable en tout cas.
— Cette fois, ce n'est pas un garçon. C'est une fille, elle s'appelle Elena et je l'aime. Je suis lesbienne.
Je vis ma mère blêmir et mon père se retourner vers, le visage interdit. Il y eut un silence pendant lequel tous deux me dévisagèrent comme s'il ne m'avait jamais vue. Un silence pendant lequel, je pensai soudain qu'Elena est d'origine mexicaine et d'un milieu peu favorisé ; bien entendu je tus ce détail car il n'aurait rien arrangé. Mon père rompit le premier ce silence pesant, ce fut l'une des phrases les plus longues qu'il m'adressa depuis ma naissance.
— Ah ah ah ! Ma fille, si c'est une blague, elle est rudement bonne.
— Ce n'est pas une blague. J'aime Elena.
— Ma fille, murmura ma mère. Ma fille est une perverse, hurla-t-elle subitement. Ma fille est une perverse, une déviante... une lesbienne. Une sale petite garce. Une...
Mon père, qui venait de comprendre que je ne plaisantais pas, blêmit à son tour.
— Quoi ? Seigneur Dieu ! jura-t-il.
Mon père m'empoigna par le col de mon chemisier et me donna une claque qui me projeta au sol.
— Crois-moi, sale petite garce, ça ne se passera pas ainsi. Si tu ne renies pas tes imbécilités, je vais te virer de ma maison et tu ne pourras plus jamais compter sur nous, cria mon père.
— Jamais ! hurlais-je.
— Espèce de sale petite idiote, tu n'as pas entendu ce qu'à dit ton père ? Il ne faut surtout pas que cela se sache. De quoi aurions-nous l'air ? Tu n'es qu'une sale petite menteuse qui tente de se rendre intéressante.
Mes grands-parents, alertés par le vacarme que nous faisions tous les trois (ils habitent la maison voisine) débarquèrent chez nous. Ma mère leur expliqua la situation. Et tous deux me firent les deux remarques précédemment évoquées.

Ce fut, finalement, ma grand-mère qui eut raison. On me fit, en effet, subir des dizaines de séances d'électrochoc pendant plusieurs semaines. Je me contorsionnais, je me débattais, je hurlais de toutes mes forces lorsque les décharges électriques me blessaient. Chaque fois je me sentais brûlée, courbaturée... mais aussi et surtout humiliée. Pourtant, c'est ainsi : j'aime Elena.


SPLEEN BUCOLIQUE

jeudi 3 juillet 2008

L'épine salée d'une addition morte.
[Premier poème de la série des chants]


L'addition sera pour toi Méphisto.
Tu paieras le meurtre de la tulipe.
Le troupeau te voit, il fuit aussitôt,
Je le veux, démon, envoie leur la grippe !

Eh ! Tu trépasses sur l'épine.
Non ! Mon maître a la joie lyrique.
Les gouttent tombent chez Proserpine,
Un son pur nous sort de l'Afrique...

L'addition était pour toi Méphisto
Je paierai le crime de ton supplice
Pardon Maître ! Et congédie ton couteau,
Je te suis, la mort sera un délice.

Je hais ces charognes, drêches de rognures !
Leur routine nous rendent inhumain...
Je hais ces charogne, drêches de rognures !
Suis donc le sentier du désert romain.

Allez, viens !
Ouais
Suis mon ombre !

Elle peint sur moi, un jolie rond sombre,
C'est la mort qui assomme ma raison.
Oui, nous sommes seuls, bien seuls dans la pénombre,
Plus d'espoir, plus aucune guérison...

Serais-tu l'amie des lapines ?
Es-tu dans l'océan d'alcool ?
Songe à l'orge qu'aiment tes copines.
Ouais ! Je vais arracher ton col.

Bien, tu peins sur moi de jolies ronds sombres.
J'assommerai le fauteuil fait d'argent,
Et on ira sur le temps en décombres,
Et j'oublierai ce fauteuil affligeant.

Enlève moi, partons vite, enlève moi !
Jusqu'à ce que nous puissions nous asseoir.
Enlève moi, partons vite, enlève moi !
Et je paierai l'addition de ce soir...


SPLEEN BUCOLIQUE

lundi 30 juin 2008

Oui. Témérité, tueur, tourbillon.

Puis il continua, joyeux mais patibulaire :


Quoi ? Comment ? Qu'entends-je ? Plait-il ? Des murmures et des bourdonnements ? Vous avez donc choisi de fuir et de douter pour toujours. Mais je vous rends hommage : vous vous êtes de nouveau engagés sur la voie de l'asservissement. C'est un choix aberrant, mais louable tant il est courageux. Courageux ? Non, téméraire. Téméraire, parce-que ce choix ne mènera qu'au désespoir de votre esprit et au reniement de la plus infime part d'humanité qu'il peut vous rester. Ah ! Ce choix vous damne pour toujours, et j'en ris parce vous êtes misérable, moche et navrant.

Pleurez, je le veux ! Oui, pleurez, car désormais, c'est là, non seulement votre seul devoir, mais aussi et surtout votre seul droit. Pleurez et rentrez dans votre corps asphyxié par votre spongieuse cervelle, c'est la dernière carte de puissance raisonnable que vous avez en main. Ce sera le sacre et le couronnement de la résignation, de la capitulation de votre esprit. Non, il n'y a vraiment aucun espoir, vous ne pourrez jamais être ce dont vous rêvez. Ne peuvent réaliser leurs rêves que ceux qui savent qu'ils sont vivants ; on ne peut rêver autrement que par la vie que l'on se confère soi-même à la naissance.

La perversité s'empare de tout mon être lorsque je vous vois vous débattre dans des eaux nauséabondes, des eaux qui puent et dont l'odeur est semblable à celle du monde que nous devons tous partager. Oui ! Vous vous débattez, mais à quoi bon ? Il n'y a plus de troncs d'arbre qui flottent sur notre lac, vous les avez brûlés. Il n'y a plus d'animaux qui pourront vous sauver, vous les avez tués. Il n'y a plus de berges accueillantes, vous les avez souillées. Est-ce tout ? Non, bien entendu. Vous finirez probablement par mourir d'épuisement, et si cela n'est pas, vous ne manquerez pas d'être noyés par les eaux du lac que vous avez polluées. Ah ! Vous mourrez par votre faute. Et en fait, ne doit-on pas dire que vous vous êtes vous même condamné ? La vérité est tellement gigantesque et imposée à vos yeux que vous ne pouvez même pas en discerner ne serait-ce qu'une parcimonieuse particule. La vérité est que vous êtes votre propre meurtrier. N'est-ce pas fâcheux pour ceux ou celles qui se considèrent supérieurs à la nature même ?

Quoi ? Encore ? Qu'entends-je de nouveau ? "Qui est-il, et que prêche ce misérable prophète ?" Je prêche votre déclin. Je suis celui qui ne pleure pas, celui qui ne fuis pas ; et je suis aussi celui qui hait sans jamais être haï. Non, je ne suis jamais haï. Ne mentez pas, ne me mentez pas : on ne hait pas lorsque l'on ne sait pas que l'on est vivant. Oui, vous essayez de me haïr, mais comment le pourriez-vous ? Et en admettant que vous le pourriez, vous sauriez par la même occasion que la parole est toujours belle lorsque l'on sait la manier, lorsqu'on la fait claquer comme un fouet dans le vent, comme une ombre dans l'obscurité. Elle parait incertaine, mais l'imaginaire, non sans raison, décuple sa force déjà immense. Alors, il la fait belle et majestueuse, réelle et sévère, cruelle mais juste.

Je ne vous reverrez plus, et j'en suis heureux. Sachez le : je vous déteste. Et c'est ainsi que je vous quitte, pleinement rassuré, en sachant que vous quitterez un jour le tourbillon de l'humaine existence en pensant : "Je n'ai que survolé les terrestres amours, et je n'en dois pas moins périr."

GAVROCHE

mercredi 25 juin 2008

Oui. Spectre, sexe, cruauté.

Une figure ombrageuse, spectaculaire et ectoplasmique, de mes connaissances incertaines, s'avança récemment vers une foule incrédule. Il la harangua et discourut ainsi :


Quelque part à l’horizon de mon rêve, il y a une forme qui se dessine. Je crois que c’est un spectre. Oui, un spectre, mais le spectre de qui, le spectre de quoi ? Ah ah ah ! Je le sais, oui je le sais ! C’est le spectre d’un sentiment. Un grand sentiment d’amour ? Non, de sexe seulement. Le spectre du sexe qui déplace avec lui des questions effrayantes. J’éructe, j’expectore, je fulmine, je vomis l’hypocrisie générale que l’immonde masse populaire, les parasites de la société et les petits excréments antisociaux vénèrent. Je les vomis tous. Oui ! Le sexe doit être abordé de manière franche et concise, comme le faisait autrefois nos ancêtres païens. Oui ! Je suis révolté à l’idée que notre société indélicate ait régressé depuis le glorieux temps de nos aïeux. Oui !

Ainsi, il serait formellement interdit de penser à des accouplements sur la voie publique ? Je le sais, vous êtes bon de nature, mais notre société vous a perverti. Oubliez la un instant. Imaginez sur un nombre indéfini d’autels, à Paris place du Trocadéro, une multitude de couples faire l’amour sans se cacher. Cela vous choque ? Oui ? Pourtant, cela ne le devrait pas. Vous êtes encore conditionnés par une mentalité extérieure qui vous échappe, et qui, malgré cela, vous subordonne totalement. On appelle cela la conscience collective. Oui, et d’ailleurs c’est ce qu’il y a de plus dangereux pour le bonheur et l’originalité. Ah ! N’est-ce pas stupide et révulsant de se savoir manipulé par quelque chose que vous ne pouvez même pas voir ? Si bien sûr. Comme je vous comprends, mes pauvres ! Je me honnirais moi-même si j’étais comme vous : un sous-fifre melliflu incapable de penser par soi même. En fait, peut-être que vous ne savez même pas que vous êtes vivant… On ne peut savoir si l’on est vivant lorsque l’on ne sait pas penser. « Je pense, donc je suis. » disait votre aimé Descartes ? Ah, oui vous commencez à comprendre : vous vous savez incapable de penser par vous-même (par paresse intellectuelle ou par déficit d’intelligence pour certains, tout simplement) et par conséquent, vous doutez de votre propre existence. Oui, les nuages sont-ils réels, les arbres vibrent-ils vraiment sous la brise, le ciel est-il matériel, suis-je vivant ? Tout cela existe-t-il, ou tout cela n’est-il que la pure fantaisie d’un esprit supérieur dont je suis l’humble subalterne ? Que se passerait-il si vous disparaissiez soudainement ? Rien. Car si vous ne savez même pas que vous êtes vivant, autrui ne le sait pas non plus et donc, il ignore votre mort. Bah… c’est peut-être mieux ainsi : cela lui épargne de verser des larmes que vous n’auriez sûrement pas mérité. Oui, vous : celui est choqué par un acte sexuel, amoureux, philanthropique (c’est selon), celui qui vient à l’instant même de douter de sa propre existence, celui qui ne vaut rien et qui n’existe ni pour lui, ni pour autrui.

Pleurez-vous ? Je l’espère. M’avez-vous déjà fui ? Vous douterez jusqu’à votre mort, après avoir rejoint votre horde de foutus esclaves. Me haïssez-vous ? Vous me donnerez raison.

GAVROCHE

dimanche 22 juin 2008

...

Louis XVIII à qui on proposait de retirer Voltaire du Panthéon, redevenu un lieu de culte catholique:
"Laissez-le, il est bien assez puni d'avoir à entendre la messe tous les jours."

vendredi 6 juin 2008

Spleen Bucolique, où l'innocence...

Sombre, discret, intelligent, manipulateur, fou, mais pas innocent. Bêtise, non, Spleen Bucolique innocent n'est pas. L'innoncence, c'est certes celui qui n'a rien à se reprocher, celui qui est exemplaire, qui est incapable de faire du mal, mais l'innocence, c'est aussi la naïveté, et il est affreux, que dis-je scandaleux de qualifier Splenn Bucolique d'innocent. Nous en concluerons donc que Spleen Bucolique est coupable, car lorsque l'on est pas innocent, nous sommes forcèment...coupable. Mais coupable de quoi ? De ne pas être naïf ?Plaide coupable, Spleen Bucolique, ici se fera ton procès. Quoi ? Que m'apprends t-on ? Des protestations ? Braillez, Spleen Bucolique, le coupable sera jugé, quoi qu'il arrive. La noirceur, la discretion, l'intelligence, la manipulation, la folie ne font pas bon ménage dans ce monde froid...et naïf. Alors fuis, Spleen Bucolique, fuis dans un bateau traversant cette océan bleu pour finir à la naissance de la liberté.

Fuis, Gavroche te rejoindras en 1969.

samedi 31 mai 2008

Je ne vous entends pas.

Le badaud imbécile reste béat quand il nous voit dans nos parcs, les royaumes que nous nous sommes adjugés.


– Nous reconnais-tu, misérable individu ? demandai-je à l'un d'entre eux.


– Jeune homme, restez donc correct ! Abandonnez ce ton grossièrement déplaisant. Je suis votre ainé de plusieurs dizaines d'années et je ne saurai tolérer qu'on me traite ainsi.


– Pourfendeur de l'Humanité, je t'ordonne de répondre à ma question ! Nous reconnais-tu, citoyen de l'opprobre ? Excrément de la terre ?


– Ah ! Non, décidément vous n'êtes pas agréable, et encore moins respectable. Vous n'êtes qu'un rescapé d'une certaine époque. Le fils d'un de ces bons-à-rien. Un voyou plus vil que ceux d'avant ! On me l'aurait dit à l'époque, je n'aurais pu le croire. Mais pourtant...


– Ah ! Vieil homme insignifiant, tu n'as pas tort sur tout. Oui je diffère de mes ancêtres spirituels. Lorsque je me contemple dans un miroir, j'aperçois les derniers sursauts d'un peuple décimé et une situation désolée. La vie maudite, que tu bénis tant, m'a tout simplement pris la joie. Observe-moi ! Ne vois-tu pas que je n'ai que le sourire en moins ?


– Mutant, tu es un mutant. Un de ces rêveurs qui pêchent à chaque instant et qui finit par mourir de faim. Un jour tu vomiras ton âme et je rirai de ta mort !


– Ma ruse est telle que je veillerai à la propulser dans une bassine. De la sorte, je n'aurai aucun mal pour la ré ingurgiter. Je me délecterai des résidus putréfié qui m'ont conduit jusqu'à la nuit belle comme une prune mûre. Tu vis dans le verger maudit. Le verger rectiligne qui nourrit toutes les foules et dont l'existence est incompatible avec le sens de l'excès. Je crois à l'excès. Aujourd'hui, je te ferai dire que quelque chose a changé. Demain, tu regarderas les pupilles de mes yeux dilatées et tu sauras que je serai différent. Ce sera l'Après. Ah ! Tu es donc nauséeux avant moi ! Tu vas devoir vomir tes infectes paroles... et les nettoyer, fors si tu as une quelconque forme d'honneur. Monsieur le prudent. Monsieur le grotesque. Monsieur le moribond. Ne me reconnais-tu donc plus ? lui demandai-je une fois de plus en lui attrapant le bras.


– Vous êtes le démon ! L'odieux maître du pentacle, descendu sur terre, et lâchez-moi ! me crie-t-il d'un air apeuré.


– Pesteux, je te prie de ne pas m'insulter. Miséreux, la pitié que tu m'inspires me force à te plaindre. Si tu souffres, tu dois aller chercher le secret le mieux gardé qui soit. Ne vois-tu pas mon porte-voix ? J'appartiens à la dernière génération du rêve ! Celle qui est en voie d'extinction, celle qui est étouffée par les imposteurs Celle qui n'a plus grand’ chose... celle qui sans cesse pense trouver la flamme d'un œil créateur, mais qui obtient de ses expiateurs des douleurs épouvantables qui n'abandonnent jamais le pugilat qu'elles nous imposent... et qui sont toujours présentes. Tu as peur et tu pleures. Je m’ennuie et je pars.



SPLEEN BUCOLIQUE

samedi 10 mai 2008

Jaune orange


Les fruits jaunes colorent le papier de lys,
Sous les yeux affables des passants lunatiques,
Qui, parfois, s’inquiètent de ce parfum d’anis.
Mais, aucun n’en voit les côtés pratiques.

Et les routes crépitent de graviers orange.
On envie l’odeur des gousses de vanille,
Engluant nos esprits d’une saveur étrange,
Et notre corps qui, d’ordinaire, ne vacille.

Les bananes éclatent, fracassent le ciel jaune :
Un tonnerre de fruit et de bus en carton !
Tout est jaune, y compris, donc, la flore et la faune.

Mais tout est orange, pour nos jambes en coton.
On fuit, l'on se réfugie dans ce cher verger,
Orange et jaune, où le temps n’est pas un berger.

SPLEEN BUCOLIQUE

Le ciel murmure.

En notre beau mois de mai, j’aime ne rien faire. J’aime à me faire paresser quand le soleil voilé balaie les regards des plus arrogants. Je suis le seul à pouvoir contempler le disque solaire, droit dans les yeux. Il ne me blessera pas, il ne me brûlera pas, car je crois en lui, car il me protège.

Et les pelouses sont vertes mais mal taillées. On s’y vautre, l’esprit vagabond, le corps courbaturé par les efforts des jours précédents, et l’on se dit que certaines combustions valent plus que d’autres dans des moments pareils. Les arbres indiscrets, qui parfois nous privent des éclats de lumière du soleil, nous admirent de toute leur hauteur. Ils forment le bras armé de la Terre contre les gaz nauséeux et nous les supportons en pensant parfois que nous sommes des menteurs.

Je regarde passer les carrosses en observant les beaux cheveux poudrés et les robes excentriques qu’ils renferment. Sur leur passage, dans un formidable élan de lucidité, tous les magnolias de la haie leur envoient quelques unes de leurs nombreuses fleurs, de telle façon que l’on comprend que la nature salue toujours la beauté lorsqu’elle se manifeste sous la forme humaine. Les dames rient de cet instant qui, de par son étrangeté, me glace et le sang et les yeux.

La maison des papillons a été détruite. Et les libellules s'enfuient par crainte du temps - qui était si suave et bénéfique dans l'ancienne mesure - maudissant tout ce qui a le bonheur d'être charmant et gracieux. Elles ne marivaudent plus de tiges de jonc en tiges de jonc sur les rives des mares et des étangs, comme les papillons ne papillonnent plus de tulipes en tulipes dans les vertes prairies. Et je vois une sphère... survolée par une mésange multicolore ! Elle fait son nid sur une dalle de carrelage froide comme la banquise. Les œufs n'éclosent pas. Et l'on se souviendra de ce qui n'existe plus.

Les bouteilles de verre me semblent être d'acier. Elles me frappent, telles des gourdins en furie cherchant inlassablement à punir l'innocence incarnée que je suis. On me hue de tous les côtés. Mais qu'est-ce que cela que peut me foutre ? Elle, elle ne me voit pas. Et je me perds dans des songes qui n'ont plus rien de leur nature originelle. Peu importe. C'est ainsi. Je m'évanouie, dans des vapeurs alcoolisées qui me rappellent tout et qui ne me rappellent rien. Ma conscience se joue de moi, entre en transe et m'abandonne à mon sort. Je suis épuisé, et je suis ivre.

Les chants des hiboux me réveillent doucement. Le son qui s'échappe de leur bec est melliflu, et je l'écoute comme vous écoutez le chant des oiseaux de bon matin. Le ciel est couvert de nuages aux reflets mordorés, des nuages, qui parfois, laissent apparaitre le rayonnement du soleil.



SPLEEN BUCOLIQUE

lundi 21 janvier 2008

Le Limon

Aux confins de l'étang d'un bleu tonitruant,
Se dandine une brise de limon gluant.

C'est une algue grise, sur les rivages humides
Qui appâte la ferveur des poissons timides.
Le plongeur démasqué rie de leur veulerie
Quand, tous petits, ils sortent de leur sablerie !

Aux confins de l'étang d'un bleu tonitruant,
On se bat dans la flore d'un limon gluant.

Et le plus fiévreux des poissons s'échoue et meurt.
Son corps si fin laisse une douleur sans humeur.
Non ! Ne pleurez pas, songez aux airs mélodieux.
C'était une perle de sable dans vos yeux.
Ses compagnons l'oublient, radieux et sans adieux.
C'était une perle de sable dans vos yeux.

Aux confins de l'étang d'un bleu tonitruant,
La mort vient dans la faune d'un limon puant.

Et la troupe, transie par la fraicheur des eaux,
Ballote ses écailles mièvres dans les flots.
L'étang se vide, seuls subsistent les roseaux,
Et la faune tombe de ses derniers sanglots.

GAVROCHE