jeudi 16 avril 2009

Le manoir de Lucas et son amour platonique.

Durant toute sa jeunesse, qu'il avait d'ailleurs trouvé bien longue, Lucas avait rêvé d'un manoir ou d'une luxueuse demeure de type second empire. Il ne réalisa jamais son rêve.

Au fond, c'était pourtant un brave garçon que la vie avait méticuleusement couvé. Elle lui avait épargné toutes les souffrances qu'un garçon de son époque aurait pu endurer. Peut-être ne savait-il même pas ce qu'était la douleur. Il avait eu de bons amis qui lui sont restés fidèles, et bien entendu une famille qui lui a légué une réputation, ou tout au moins un nom. Aussi est-il permis de dire que c'était là un garçon fortuné. C'est d'ailleurs bien simple, tout son entourage chantait ses louanges.

Sa santé était des meilleurs ! Bien sûr, il a probablement été malade quelques fois... mais c'est à relativiser quand on sait combien la jeunesse est fragile... L'a-t-on seulement entendu tousser une fois ? Oui, comme tout le monde, il a bien dû avaler quelque chose de travers.

Son intelligence était exceptionnelle. "Élève très intelligent", "Ira loin"... il avait eu toutes ces appréciations de nombreuses fois sur ses bulletins scolaires. Nul n'osait remettre en question sa culture générale. Il avait, dans ce domaine, démontré maintes et maintes fois sa nette supériorité. En outre, il avait en plus la chance d'être un peintre talentueux. Ces toiles étaient reconnus par la communauté artistique, si bien qu'il en avait déjà vendu quelques unes. Le fameux manoir dont il rêvait devenait chaque jour de plus en plus réaliste.

Mais alors ? Quoi ? Ce diable d'homme n'avait-il donc aucun défaut ? Allait-il parvenir à réaliser son rêve sans rencontrer de difficulté ? Était-il de ses hommes, bourrés de qualités qui rendent jaloux tous leur comparses. Certains l'aiment chaud : le pseudo millionnaire flegmatique prononce le célèbre "Personne n'est parfait". C'est vrai. Même un héros légendaire comme Achille ne l'était pas, son honorable mère n'ayant pas eu la bonne idée de le plonger entièrement dans le Styx. Lucas avait donc un défaut.

La passion. Il était de ces hommes qui font ou qui ne font pas mais qui lorsqu'ils font font tout avec passion. Peut-on parler là de défaut ? Ou de qualité ? C'est à voir. En tout cas, c'est un trait majeur dans un caractère ; combiné à l'amour cela devenait une chose. Quelle chose ? Quelque chose de puissant, une sorte de force que l'on possède mais que l'on ne contrôle pas. Une horreur, en somme. Naïvement, il se croyait à l'abri des sentiments amoureux. Quel pauvre con. Évidemment, il fallut qu'un jour, où il griffonnait sur un carnet un croquis du manoir de ses rêves dans un jardin public, une femme de son âge passe devant lui et soit assez audacieuse pour s'intéresser à ses dessins. Ils se sont vus et revus. Elle lui a dit qu'elle l'aimait. Lucas lui a répondu que c'était un sentiment réciproque. Cette homme et cette femme se sont donc aimés. Amour platonique seulement. En effet, ils partagèrent pendant un moment un amour en dehors de toute sensualité, atypique, excluant tout contact physique.

Il y avait eu un malentendu entre eux. Elle aussi avait un rêve et ce rêve était justement un amour platonique. Cet amour avait pour elle une valeur artistique. Lucas, lui, ne partageait pas les théories du grand philosophe antique. Il voulait un amour simple. De cette divergence a progressivement découlé le conflit et la rupture. Mais encore ? C'est arrivé à tout le monde ou presque. Mais quoi ? "Je te hais." Trois mots qui, rassemblés forment un trident qui arrachent le coeur.

Lucas se souvenait de quelques moment. Elle le regardait peindre, sans parler. Il aimait cela. Il la voyait pencher sa tête, d'un geste mièvre, sûrement pour mieux percevoir le sens de la toile. C'était sûrement un tic. Il se rappelait les moments durant lesquels ils échangeaient leur vision du monde, en le refaisant. Il se souvenait de tout. Sa mémoire excellente était une de ses autres qualités, qui peut aussi ne pas en être une. C'était cela son talon d'Achille. Sa mémoire. Il se souvenait de tout et cela le rongeait. D'autant plus lorsque la femme qu'il aimait et qui l'avait aimé venait de lui avouer qu'elle le haïssait. Dix-huit ans ! Plus de bocks, plus de limonade, plus de cafés tapageurs... Dix-huit ans. Il faisait le bilan de sa dix-septième année, et finissait par la qualifier de météorique.

Il se le jurait, il aurait dix-huit ans dans douze heures. Il les fêterait dans une cour intérieure, en compagnie d'une corde pour briser son rêve, à supposer qu'il soit assez courageux pour assumer sa lâcheté.

GAVROCHE

2 commentaires:

Stef a dit…

La recherche d'une vie parfaite ne nous rend t-elle pas forcément malheureux ?
C'est peut être de le croire...

ELN a dit…

J'aime beaucoup ta citation de Balzac... Certains devraient en effet méditer là dessus !