dimanche 6 juillet 2008

La chronique des condamnés, 20 novembre 1957, L.A (USA) : une acolyte de Sappho.

Récit d'une personne de sexe féminin - plus tout à fait une enfant, mais encore à peine une femme - rapporté par Spleen Bucolique.

Les ténèbres sont proches, j'entends leurs cris féroces qui cristallisent l'atmosphère lourde et pénétrante régnant dans ma sombre demeure aux allures de manoirs transylvaniens. Les ténèbres sont les filles des chiens en furie qui me pourchassent. Mon père hurle, me frappe et projette de m'exclure de sa maison et de son héritage. Ma mère me conjure d'avouer que je ne suis qu'une "sale petite menteuse", effrontée et toujours pressée de narrer toute sorte d'idioties pour me rendre intéressante. Mon grand-père me regarde avec dégoût, et me lance : "après tout ce que tes parents et nous avons fait pour toi, c'est ainsi que tu nous remercies". Ma grand-mère est encore la plus douce lorsqu'elle me susurre que si je ne rentre pas dans le droit chemin, j'aurais droit à des séances d'électrochoc comme cela devient courant par les temps qui courent.

Mais pourquoi tout ce vacarme ? Pourquoi toute cette folie ? J'ai peine à croire que cela est pu débuter lors d'un repas, qui s'annonçait tout ce qu'il y a de plus banal. Ma mère me questionnait de la manière la plus gentille (père comme mère ont plus ou moins toujours été corrects, sinon méconnaissant à mon égard) qu'il puisse être sur ma journée au lycée. Je lui répondis, sur le même ton, que ce fut une journée ordinaire... puis j'ai embrayé, timidement, sur mes relations sentimentales. Il fallait que je leur en parle. Je sentais que je ne pouvais pas faire autrement.
— J'aime quelqu'un, et c'est réciproque, leur dis-je. Et c'est un amour irrévocable, vous ne pourrez rien contre, enchaînais-je rapidement pour ne pas être interrompue.
— Mais voyons, ma chérie, pourquoi voudrais-tu que nous ne soyons pas favorables à liaison ? dis ma mère, surprise. Au contraire, ton père et moi en sommes enchantés ! N'est-ce pas, Lance ?
— Ouais.
Mon père s'exprimait rarement, et lorsqu'il le faisait, ce n'était que sur invitation de ma mère et il répondait toujours le plus rapidement possible.
— Mais... non, vraiment, je suis sûre et certaine que cette liaison ne pourra pas vous plaire.
— Cesse de débiter des stupidités, tu es déjà sortie avec des garçons et nous ne t'avons rien dit, de désagréable en tout cas.
— Cette fois, ce n'est pas un garçon. C'est une fille, elle s'appelle Elena et je l'aime. Je suis lesbienne.
Je vis ma mère blêmir et mon père se retourner vers, le visage interdit. Il y eut un silence pendant lequel tous deux me dévisagèrent comme s'il ne m'avait jamais vue. Un silence pendant lequel, je pensai soudain qu'Elena est d'origine mexicaine et d'un milieu peu favorisé ; bien entendu je tus ce détail car il n'aurait rien arrangé. Mon père rompit le premier ce silence pesant, ce fut l'une des phrases les plus longues qu'il m'adressa depuis ma naissance.
— Ah ah ah ! Ma fille, si c'est une blague, elle est rudement bonne.
— Ce n'est pas une blague. J'aime Elena.
— Ma fille, murmura ma mère. Ma fille est une perverse, hurla-t-elle subitement. Ma fille est une perverse, une déviante... une lesbienne. Une sale petite garce. Une...
Mon père, qui venait de comprendre que je ne plaisantais pas, blêmit à son tour.
— Quoi ? Seigneur Dieu ! jura-t-il.
Mon père m'empoigna par le col de mon chemisier et me donna une claque qui me projeta au sol.
— Crois-moi, sale petite garce, ça ne se passera pas ainsi. Si tu ne renies pas tes imbécilités, je vais te virer de ma maison et tu ne pourras plus jamais compter sur nous, cria mon père.
— Jamais ! hurlais-je.
— Espèce de sale petite idiote, tu n'as pas entendu ce qu'à dit ton père ? Il ne faut surtout pas que cela se sache. De quoi aurions-nous l'air ? Tu n'es qu'une sale petite menteuse qui tente de se rendre intéressante.
Mes grands-parents, alertés par le vacarme que nous faisions tous les trois (ils habitent la maison voisine) débarquèrent chez nous. Ma mère leur expliqua la situation. Et tous deux me firent les deux remarques précédemment évoquées.

Ce fut, finalement, ma grand-mère qui eut raison. On me fit, en effet, subir des dizaines de séances d'électrochoc pendant plusieurs semaines. Je me contorsionnais, je me débattais, je hurlais de toutes mes forces lorsque les décharges électriques me blessaient. Chaque fois je me sentais brûlée, courbaturée... mais aussi et surtout humiliée. Pourtant, c'est ainsi : j'aime Elena.


SPLEEN BUCOLIQUE

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tres beau recit. Es-ce de toi? si oui, tu as une tres belle plume, efficace.
On est dans l'intemporel, dans le drame de l'amour interdit.Sombre et realiste.

Anonyme a dit…

Kill your sons de lou reed..tu connait à mon avis..

sinon, c'est juste beau..des fois c'est plus..on a envie d'arréter de lire pour expirer les sensations.. j'ai beaucoup aimé L'épine salé d'une addition morte..
Et je gratte pour le comprendre réellement..