dimanche 13 juillet 2008

La chronique des condamnés, 25 mars 1973, London (G-B) : j'irai à New-York

Témoignage d'un individu de sexe masculin rapporté par SB.

Cela fait plusieurs années que je mène cette vie pleine de panache et si originale. Ah ! Oui, je l'ai choisie. Et je ne regrette quasiment rien. En fait, comment pourrais-je avoir le moindre regret ? Je pense que ce chemin que j'ai emprunté m'a guidé vers un état incroyable que je n'aurais jamais pu connaître d'une autre manière. Non, décidément je n'ai aucun regret.

Mais... il est temps que cela s'arrête. Mon corps le réclame. Bien que d'apparence choyé, je le ruine intérieurement. Tout au contraire, je nourris mon esprit intérieurement, et c'est ce qui lui donne une apparence si misérable. Misérable, et pourtant admirée par nombre de personnes. Il y a sûrement une corrélation, mais c'est tout de même à n'y rien comprendre. Bah... qu'importe, de toute façon, cela fait longtemps que j'en ai plus les moyens. Il faut que cela s'arrête car je ne suis plus cela. Parfois, je doute même l'avoir été. Ma nature n'est pas dans cette vie que je mène et qui me ruine, en tous les sens du terme. Je voulais juste pouvoir aller à New-York, une seule fois dans ma vie. J'aurais tout fait pour réussir. Et j'ai tout fait, mais cela ne paye pas... pas assez en tout cas.

Il y cinq ans, je me rasais les jambes et je m'épilais les sourcils pour la première fois de ma vie. J'essayais le mascara de ma sœur, pour la première fois aussi... Et j'ai volé toutes les économies de mes parents et je suis partis, pour la première fois également... et pour toujours. Je ne les ai jamais revus, je ne sais pas ce qu'ils deviennent et j'ai rarement assez de temps pour en pleurer ou même pour y penser. Je voulais juste rêver un peu, je n'avais rien contre eux. Ma vie auprès d'eux était paisible. Je voulais provoquer, rien de plus. Mais je n'ai jamais eu le courage de revenir.

Je suis un travelo qui rêve juste d'aller à New-York et qui se fout du reste. Ni homme, ni femme, juste une pauvre créature qui déambule avec des semelles compensées, des vêtements "féminins" que les femmes elles même ne portent plus, et une tonne de maquillage. Je suis grotesque et j'ai de plus en plus de mal à l'assumer. J'ai commencé pour aller à New-York, et je continue pour manger à ma faim. Il y a comme un problème.

Cette vie n'est pas regrettable , mais elle est tellement impitoyable que je n'ai pas su continuer tout seul. Personne ne peut vivre ce genre de vie sans avoir l'appui de la "science". Je suis défoncé la plupart de la journée. Les amphés pour me stimuler, l'alcool pour oublier, l'héroïne pour avoir un minimum de plaisir. Le fric ne s'arrête pas dans mes mains, il ne fait que passer. Le peu qu'il me reste est balancé dans l'épicerie quand j'ai encore la force de m'y traîner. J'ai mal et j'ai très peur. De temps en temps, je me sens partir, tout doucement. Puis je reviens, tout en souffrance, pour repartir et revenir. C'est atroce. Un jour, soit je ne repartirai pas, soit je ne reviendrai pas. J'ai mal, et j'ai peur.

Mais... comment arrêter quand toutes vos connaissances vous supplient de poursuivre une telle existence et que cette existence vous permet de vivre tant bien que mal ? J'en ai assez de porter tout ce maquillage, toute la journée, de ces pauvre jupes et robes riducules et de ce cuir noir insupportable. Il faudrait que je laisse tout cela tomber, parce que cela ne me ressemble plus. Mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas.
— Putain, tu déconnes ? Tu ne peux pas me faire ça, me disait Jack, mon patron (et mon mac), hier soir encore.
— Je n'en peux plus, je suis usé, je veux en finir...
— Allons, réfléchis un peu. Qu'est-ce que tu ferais ? Hein ? Tu ne sais rien faire d'autre. Et puis, ce n'est pas en arrêtant que tu pourras aller à New-York, dit-il avec un rictus. Tu es notre meilleur produit, nos clients te préfèrent toi ! Tu ne peux pas arrêter, je te l'interdis, me répéta-t-il sur un ton cette fois menaçant.
Je sais de quoi il est capable. Ce genre de type n'hésiterait pas à buter un pauvre travelo comme moi. Qui s'en soucierait, de tout façon ? Je crois qu'il n'y aurait personne pour constater ma disparition...

Et même, j'ai honte de l'avouer, mais je suis accroc. On ne se sépare pas d'elles aussi facilement. Je n'irai peut-être jamais à New-York... mais peut-être qu'elles pourront me donner l'illusion d'y être, juste avant de mourir.

SPLEEN BUCOLIQUE

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très dur et très touchant...
Merci pour ce témoignage.